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Internet nous rend-il idiots ?

Limiter notre intériorité. Voici le 15eme danger d’Internet, relevé dans mon livre Dieu et Internet, 40 questions pour mettre le feu au web, à la question « Quels sont les dangers d’Internet ? » (n°6, p. 45). En écho notamment, la théorie de Nicolas Carr, selon qui Internet nous rendrait idiot… Extrait tiré du livre.

Pour Jean-Paul II, Internet présente également le danger de limiter notre capacité à la contemplation. « Internet redéfinit de façon radicale le rapport psychologique d’une personne au temps et à l’espace, dit-il en 2002. L’attention est concentrée sur ce qui est tangible, utile et immédiatement disponible ; l’encouragement à approfondir la pensée et la réflexion peuvent manquer. Pourtant, les êtres humains ont un besoin vital de temps et de calme intérieur pour réfléchir et examiner la vie et ses mystères, et pour acquérir progressivement une domination mûre d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. »

Le Pape à l’origine de la nouvelle évangélisation – y compris par Internet – précise : « La compréhension et la sagesse sont le fruit d’un oeil contemplatif sur le monde, et ne proviennent pas d’une simple accumulation de faits, quel que soit leur intérêt. Ils sont le résultat d’une réflexion qui pénètre la signification plus profonde des choses les unes par rapport aux autres et par rapport à la réalité tout entière. De plus, en tant que forum dans lequel pratiquement tout est acceptable et pratiquement rien ne dure, Internet favorise une façon relativiste de penser et alimente parfois le manque de responsabilité et d’engagement personnels. »

Gare donc au relativisme intellectuel qui troque une pensée pour une autre, comme s’il pouvait y avoir plusieurs vérités ! Nous verrons un peu plus loin que Benoît XVI a repris cette idée à son compte.

« Dans un tel contexte, concluait Jean-Paul II, comment pouvons nous cultiver cette sagesse qui ne provient pas seulement de l’information, mais de la réflexion, la sagesse qui comprend la différence entre le bien et le mal, et qui soutient l’échelle de valeurs qui découle de cette différence ? ».

Alors, Internet nous rend-il idiots ? L’Américain Nicholas Carr, auteur à succès sur la planète digitale, a enflammé la blogosphère et bien au-delà avec son troisième livre, intitulé Les bas-fonds, ou l’impact d’Internet sur nos cerveaux. Pour lui, l’utilisation d’Internet nous rend incapables de lire des documents qui dépassent quelques lignes.
L’auteur défend les thèses suivantes :

– comme le montrent les dernières avancées de la neuroscience par rapport à nos modes de pensée, le cerveau humain est dans un état d’apprentissage permanent ;
– les outils d’information changent notre manière de percevoir le monde, de penser et d’agir ;
– les changements induits par ces outils « informationnels » sont très rapides ;
– Internet aura autant d’impact sur notre cerveau que l’apparition de l’alphabet, de la cartographie, l’horloge ou l’imprimerie ;
– Internet est à notre service, mais peut devenir notre maître ;
– l’internaute perd une grande partie de ses capacités de concentration, de réflexion et de contemplation (reprenant ici à son compte l’idée de Jean-Paul II !) ;
– la tentation est grande de confier à l’informatique le travail de notre mémoire ;
– de moins en moins d’internautes arrivent à lire un livre en entier ;
– ce que Taylor a réalisé pour le travail manuel, Google (utilisé par 90 % des internautes) serait en train de l’appliquer au travail du cerveau.

Ainsi, comme l’avait écrit De Rosnais en 1996, auteur de L’homme symbiotique, Nicholas Carr cherche à démontrer que « l’Homo interneticus » se fatigue de moins en moins à force d’utiliser cet « outil de l’esprit » qu’est Internet. Il raconte aussi comment Friedrich Nietzsche, à trente-quatre ans, perdit la vue et n’arrivait donc plus à écrire. Le Danois Malling-Hansen, travaillant pour l’Institut royal hollandais des sourds-muets, lui fournit l’une des premières machines à écrire. Nous sommes en 1882. Très vite, des lecteurs lui font remarquer qu’il a changé de style, que ses textes sont plus denses et plus courts. Nietzsche répond alors : « Vous avez raison, nos outils d’écriture influent sur la création de nos pensées. »

Il est vrai que l’immense succès des SMS qui ne cessent de se répandre dans nos modes de communication, et de Twitter, le site de « microblogging » où les messages ne peuvent dépasser 140 caractères, peut nous effrayer. Lorsqu’on sait aussi que la longueur moyenne d’un texte lu sur Internet ne dépasse pas 1 200 signes, soit environ le tiers d’une page A4, nous pouvons nous interroger : répondent-ils à un impérieux besoin de rapidité et d’efficacité, ou trahissent-ils de façon générale une pensée étiolée ? Autrement dit, une réflexion synthétique signifie-t-elle pour autant qu’elle est réduite quant à sa substantifique moelle ?

Que dire alors de ces nombreux concours où l’épreuve du résumé de texte est utilisée pour mesurer la capacité des candidats à synthétiser leur pensée, ou de ces notes d’une seule page que demandent aujourd’hui les décideurs à leurs collaborateurs : sont-elles moins « réfléchies » pour autant ?

Il faut souligner encore qu’avec Internet, on assiste au grand retour de l’écrit… et donc d’une nouvelle réflexion écrite. De même que la micro-informatique a révolutionné le monde de la pensée, notamment avec l’apparition du traitement de texte : personnellement, quand j’ai découvert Word, je me suis senti l’âme d’un écrivain ! Cet outil a donné à chacun l’envie d’écrire, de coucher sur le papier, de façon merveilleuse, avec une facilité inégalée (quelle aisance dans le déplacement des paragraphes !) ses impressions, ses idées, ses aventures ou le fruit de son imagination.

Aujourd’hui, le blog est l’outil par excellence de réflexion et de diffusion de la pensée des uns et des autres, quel qu’en soit le sujet. Interactif par le biais des commentaires, il permet d’échanger avec ses lecteurs et donc, sur ce plan, d’aller plus loin dans la réflexion. L’existence de 190 millions de blogs, publiant à la cadence de plus d’1,6 million de nouveaux billets par jour (1), sur lesquels se penchent 2 milliards d’internautes, nous montre qu’il y a ici un progrès de la connaissance et donc de la réflexion humaine elle-même.

Je crois donc que la théorie de Nicholas Carr est poussée à l’extrême, de la même façon que nous avions pu trouver des ouvrages intitulés L’ordinateur vous rend idiot, ou, plus récemment, PowerPoint vous rend idiot. Je ne rejoins pas non plus le philosophe Alain Finkielkraut pour qui « Internet est une poubelle ». C’est ce qu’il déclarait lors d’une récente émission d’« Arrêt sur images » sur France 5, expliquant sa crainte que des propos tenus entre amis se retrouvent instantanément sur le net. L’un des journalistes lui répondit : « J’ai envie de vous parler comme Karol Wojtyla : N’ayez pas peur ! » Pour dire quelques mots de son livre : Internet, l’inquiétante extase (2), il faut encore rappeler qu’Internet n’est qu’un outil, qu’il est donc moralement neutre. Seuls ses différents usages ont une incidence sur le bien et le mal. Internet n’est donc pas en soi la promesse d’un monde meilleur. Mais s’il est utilisé pour transmettre l’amour de Dieu, alors oui, le web pourra jouer un rôle majeur dans notre monde moderne pour y porter l’espérance de la vie éternelle, ce bonheur qui est aussi de vivre avec Jésus-Christ au quotidien.

(1) D’après Blogpulse.com et Technorati
(2) Ed. Mille et une nuits, 2001 (écrit avec Paul Soriano)