“Les caricatures du prophète Mahomet blesse l’âme de millions de croyants dans le monde. Est-il si difficile de respecter ce qu’ils tiennent pour sacré ?” (…) Se moquer des religions n’est pas une « valeur de la république ».
Par Mgr Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes
Même si, avec le couvre-feu et un reconfinement partiel, nos sujets de préoccupations changent ; même si nous sommes saturés d’informations, d’analyses et de polémiques au sujet de l’assassinat de M. Samuel Paty, il m’a semblé utile de proposer les réflexions qui suivent.
Car l’exécution de Samuel Paty, professeur d’histoire, à Conflans-Saint-Honorine, nous a sidérés par sa violence, par son injustice, par sa barbarie.
Nous ne pouvions pas imaginer que la haine irait jusqu’à cette extrémité sur le territoire de notre pays. Surtout pour des raisons religieuses. Est-il besoin de condamner encore une fois cet acte odieux ? Je le fais évidemment avec vigueur, rappelant les mots du Pape François dans son encyclique Fratelli Tutti :
« Le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb et moi-même avons déclaré « fermement que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les coeurs des hommes. […]En effet, Dieu, le Tout-Puissant, n’a besoin d’être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens ». Fratelli Tutti, 285.
J’ose tout de même poser une question : faut-il, pour illustrer la liberté d’expression, continuer à présenter à des élèves des caricatures du prophète Mahomet ? Il nous a été répété que, dans notre pays, la liberté d’expression inclut un droit à la caricature et que le blasphème n’est pas un délit pour le droit civil. Nous avons donc le droit de caricaturer qui nous voulons et de poser des actes qui s’apparentent, pour des croyants, à un blasphème, sans être inquiétés par les lois de la République.
Mais la liberté d’expression est-elle incompatible avec le respect des personnes et, en particulier, de leur conscience religieuse ? A quoi est-elle orientée dans une société démocratique sinon au débat, au dialogue, à la compréhension d’opinions pergentes en faisant appel au travail de la raison. N’est-ce pas là, justement, l’esprit des Lumières ?
N’a-t-on rien de plus pressant à exposer aux élèves de nos collèges que des caricatures pour les initier au débat contradictoire, à la capacité de faire valoir leurs opinions personnelles, au droit à défendre leur point de vue ? Pour leur faire prendre conscience de leur faculté à penser par eux-mêmes et à exprimer une idée, une vision, un regard personnel, faut-il justement les orienter vers la caricature, ce procéder par lequel les traits sont forcés, les intentions sont déformés, les visages sont ridiculisés. La caricature est une défiguration de la réalité pour en faire ressortir un aspect que l’on veut critiquer, contester, combattre. Est-ce par ce biais que l’on veut éduquer les jeunes au dialogue et au respect ?
La liberté de s’exprimer ne légitime pas la déformation des idées ou du visage de l’autre sans aucune retenue. Quelle indignation susciterait-on si on caricaturait une personne en fonction de la couleur de sa peau, ou parce qu’elle est porteuse d’un handicap !
La liberté d’expression est un droit. Est-ce qu’elle ne comporte pas le respect des opinions, des convictions profondes, de la personne même de l’interlocuteur ? Peut-on impunément se moquer de ce qui, pour lui, a une dimension sacrée ? Ce qui est sacré est, à l’origine, ce qui appartient en propre au pin, au transcendant et qui est intouchable, inviolable à nos yeux. Nous ne pouvons pas le manipuler à notre guise sans avoir le sentiment de nous renier nousmêmes. Et celui qui profane cet espace sacré nous atteint dans ce que nous avons de plus intime, de plus secret, dans ce qui touche aux fondements de notre existence personnelle. Nous ressentons cette profanation comme une grande violence.
Par extension, il y a, dans notre vie, des réalités sacrées pour lesquelles nous avons aussi un respect absolu : un membre de notre famille, un ami, parfois même un objet, une maison… Nous avons évidemment de la peine quand cette réalité est interrogée, remise en cause par un tiers. Mais sa caricature nous est insupportable : qui pourrait admettre que sa mère ou un de ses enfants soit caricaturé en public sans en éprouver une extrême souffrance ?
Les caricatures du prophète Mahomet blesse l’âme de millions de croyants dans le monde. Est-il si difficile de respecter ce qu’ils tiennent pour sacré ?
Des dessins du journal Charlie Hebdo ont aussi été une offense pour les chrétiens que nous sommes. On entend dire maintenant qu’il faudrait continuer et amplifier ces illustrations moqueuses pour garantir et protéger le droit de faire connaître ses idées… Provoquer en humiliant et en choquant ne peut pas servir la cohésion et la paix sociales.
Je condamne encore une fois avec vigueur l’assassinat de M. Paty et je défends la liberté de s’exprimer mais l’ironie blessante est-elle vraiment ce qui favorisera la rencontre, le dialogue en vérité dont nous avons besoin avec les musulmans qui habitent notre pays ? Comment peut-on croire qu’on s’opposera à l’islamisme négateur de notre démocratie et de notre droit en caricaturant l’islam et en tournant son prophète en ridicule ? Se moquer des religions n’est pas une « valeur de la république », elle qui, à l’inverse, défend la liberté religieuse et la liberté de conscience.
Je me demande quel spectacle nous offrons aux musulmans du monde entier en donnant de façon si arrogante des leçons sur la liberté d’expression alors que ces dessins ne sont finalement qu’une insulte à leur foi et un mépris de leurs convictions religieuses.
Je ne crois pas que ces procédés soient dignes de notre pays, de notre culture, de notre tradition de respect et de civilité, de l’humanisme dont nous nous réclamons.
+ Nicolas Brouwet
Evêque de Tarbes
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