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L’agitation et la confrontation violente s’opposent à l’évangélisation

Retour sur les évènements du Théâtre de la Ville

Que se passe-t-il ?

« Sur le concept du visage du fils de Dieu » est une pièce de Romeo Castellucci, qui met en scène un père et son fils au pied d’une grande représentation du Christ, par ailleurs magnifique, ressemblant à celui de Manopello. Le père est très âgé, il sombre peu à peu dans toutes les fragilités de la vieillesse (incontinence, démence, etc.). Le fils s’occupe de lui, le soigne, l’accompagne vers sa fin. C’est là tout le sujet du spectacle, qui aurait très bien pu s’appeler « sous le regard du Christ ».

Des quelques vidéos extraites de la pièce que j’ai pu voir (ici, ici et ici), je n’ai rien trouvé de particulièrement choquant, si ce n’est des enfants qui jettent des pierres sur le visage du Christ, et un voile d’encre noir qui finit par se déverser sur lui, que certains ont réussi à interpréter comme représentant des excréments, en lien aves les précédentes scènes, interprétation que je ne partage pas. Après tout, pourquoi ne pourrait-on pas peindre le refus du Christ, scène si d’actualité dans la vie de tous les jours ? Le metteur en scène se défend en tout cas de toute christianophobie, reprenant aussi en substance les mots de Benoît XVI cet été à Madrid : « la foi est à milles lieues de l’idéologie » (lire cet entretien au Monde).

Mais il est vrai que cette pièce est jouée dans un contexte particulier : une autre pièce, bien plus provocante, sans commune mesure blasphématoire, est prévue du 8 au 17 décembre prochains à Paris, sous le nom « Golgota Pic Nic ». Nous avons réagi, comme d’autres chrétiens, en demandant aux pouvoirs publics d’intervenir, interpellant spécialement les candidats de 2012.

Il y a eu aussi l’affaire du « Piss Christ », sans parler des injures faites aux chrétiens dans les médias ou la presse, comme cette insupportable série d’articles parue cet été dans Libération, pourtant presque passé inaperçue, et autrement plus grave, sur laquelle j’avais aussi réagi.

Dans ce contexte tumultueux, il n’en faut pas plus pour que les traditionnalistes intégristes de Saint Nicolas du Chardonnet montent au créneau (les premiers ?), encouragés par leurs prêtres et des figures d’extrême droite comme Bernard Anthony, avec le soutien de groupe de jeunes comme France Jeunesse Civitas, “mouvement de jeunes catholique et politique”. Ainsi, trois cents jeunes, dès les premiers soirs, étaient présents devant le théâtre. Auto-proclamés « inoffensifs catholiques en prière » (dixit Civitas), ils sont venus soit disant pour « prier le chapelet, scander des slogans et chanter des cantiques face au théâtre ».

Mais à bien y regarder, cela n’a rien d’un rassemblement « bon enfant ». Le groupe Civitas admet lui-même que plusieurs dizaines de jeunes se sont introduits dans le théâtre, se faisant passer pour des spectateurs, pour y perturber la pièce, à la manière des intermittents du spectacle sur les plateaux télés (voir cette vidéo). La presse rapporte ainsi des « tentatives violentes d’intrusion par des militants organisés, avec usage de gaz lacrymogènes, enchaînement des portes de la salle dans le but d’empêcher l’accès, utilisation de boules puantes, distribution de tracts cherchant à dénoncer le caractère ‘christianophobe’ du spectacle, interruption du spectacle par irruption sur scène de neufs militants » (Le Figaro).

De l’autre côté, ce sont une cinquantaine « d’imbéciles » (on appréciera l’amour que Civitas leur porte) d’extrême gauche qui sont prêts à monter également au front, et dont les rangs vont grossir, avec le risque d’une escalade de la violence.

Le résultat ?

Des cathos embarqués par les CRS, « rafflés » ose scander Civitas sans nuance et sans honte. Nous voici décrits comme insensibles au théâtre contemporain, préférant une opposition frontale entre culture et catholicisme. Ce qui est un comble, quand on sait dans l’histoire ce que la foi chrétienne a apporté à l’art. L’occasion que nous leur fournissons sur un plateau est trop bonne : voici aussi les cathos en général amalgamés aux intégristes, et présentés comme ‘réactionnaires’, obscurantistes, voire violents, ce qui ne donne envie à personne de devenir chrétien.

Il faut dire aussi que cette somptueuse couverture presse, du journal de France 3 aux très nombreux articles papiers et radios, est du pain béni pour des factions en manque de visibilité médiatique. Y compris pour l’extrême droite, en pleine campagne pour les présidentielles.

Ainsi, selon Civitas, la manifestation est ‘un énorme succès’, malgré l’exécrable image des cathos donnée à cette occasion par les médias. Cela a-t-il arrêté seulement les représentations ? Bien sûr que non. Au contraire, cela a donné à celles-ci une bien plus grande publicité, inespérée. Et pour Civitas, l’objectif est atteint au delà de toute espérance, sans aucun réalisme.

Du côté du responsable France de la Fraternité Saint Pie X, l’inénarrable abbé Régis de Caqueray, « la détermination (de ces jeunes) et leur foi chevillée au corps sont admirables et porteuses d’espérance, ils sont ‘l’honneur de notre société (…), la petite flamme qui empêchera les ténèbres de gagner la lumière ». Rien que cela, nous sommes sauvés !

Pistes de réflexion

Cet orgueil affiché explique en bonne partie pourquoi une telle manifestation ne peut être pacifique. On peut manifester avec humilité, dire son chapelet sur la voie publique, mais croire que l’on va « vaincre » seul contre tous est une hérésie.

Entendons-nous : je n’ai rien contre le chapelet en public, bien au contraire : j’ai appartenu à un groupe de prière avec le lequel nous disions le chapelet sur le Champ-de-Mars, au beau milieu des jeunes de notre génération. Mais il n’y avait aucune ostentation de notre part, et d’ailleurs cela interrogeait. Il me semble ici que se mettre à genoux devant les forces de l’ordre et les passants, pour protester, peut être interprété comme un manque d’humilité, et en tout cas, agace inutilement.

On ne m’accusera pas d’être anti-tradi : dans mon livre Dieu est de retour, j’ai interviewé un responsable d’Ichtus – que les Civitas ont quitté sous fond de liturgie – comme aussi bien l’abbé Fabrice Loiseau (curé d’une paroisse personnelle célébrant sous la forme extraordinaire), pour faire connaître l’apostolat dont ils savent faire preuve.

Mais là, c’est trop. Rien ne justifie l’usage de la violence, encore moins la défense du Christ, qui par ailleurs n’a pas vraiment besoin de nous pour cela. Au Mont des Oliviers, Jésus n’a-t-il pas demandé à Pierre de ne pas le défendre et de ranger son épée ?

Protester ouvertement oui – et le porte-parole de la Conférence des évêques de France l’a fait – saisir les pouvoirs publics oui, mais user de la force physique et verbale, non. Pourquoi donc aller crier des slogans – qui ne portent pas – à la gueule d’en face, leur hurler des « Christus vinci, Christus regnat, Christus imperat » ou vociférer des « Ave Maria » dans une ambiance rendue peu propice à la prière, à cause une pièce aussi ridicule qu’insignifiante ? Et pour quelle réussite ?

On se souvient des mêmes jeunes de Civitas manifestant dans les rues de Paris à l’occasion de la Marche pour la Vie, tel un seul homme, criant aux passants innocents des slogans violents et totalement inefficaces comme « avorter c’est tuer ». (Mais il semblerait que les organisateurs de la dite marche ne parviennent toujours pas à les raisonner…).

Malheureusement, là encore, ces jeunes idéalistes sont manipulés, notamment par l’extrême droite (dont on connaît les idées et la visée électoraliste), comme nous l’avions démontré lors de l’affaire du « kiss in » de Lyon. Ce n’est pas le docteur Xavier Dor, présent à ces manifestations et dont la spécialité fut, par le passé, de s’enchaîner sur les tables des avortoirs, qui les incitera à plus de modération. Ils sont finalement « comme des brebis sans berger » malgré la présence trompeuse des prêtres de Saint Pie X. (Je serais archevêque de Paris – mais je ne le suis pas – j’irais à leur rencontre pour dialoguer avec eux, si cela est encore possible !)

Oui, les chrétiens, et les catholiques en particulier, sont régulièrement la cible d’anathèmes ou d’injures, mais évitons de mettre tous les metteurs en scène, artistes ou journalistes dans un même panier en criant à la théorie du complot. Evitons aussi d’agresser les spectateurs. Ces personnes ont aussi un coeur, une âme, elles ne savent pas ce qu’elles font et cherchent aussi le visage de Dieu. A nous de leur apporter de vraies réponses, avec et par miséricorde.

Faut-il le rappeler : l’amour ne s’imposera jamais par la force des slogans ou des barricades, et on ne va pas au devant du martyre, ni des arrestations. Evitons de nous battre sur le terrain de l’adversaire, celui de la violence, du militantisme sans nuance, des slogans revanchards, de la dialectique passéiste, du mot « phobie » à outrance, surtout en jouant sur la peur. Au contraire, n’ayons pas peur d’être créatifs, artistiques, innovants, oserais-je dire ‘modernes’ (cf Evangelii nuntiandi), en utilisant la Parole de Dieu, qui touche les cœurs.

Prions, avant d’agir, demandons à l’Esprit Saint de nous éclairer sur la meilleure conduite à tenir. Il y a fort à parier qu’Il nous conduira vers des initiatives positives, non pour une défense systématique, presque corporatiste, d’un système et de notre appartenance à une religion, mais pour l’annonce de l’Evangile. Et pourquoi pas par le théâtre ? Il y a tant de bonnes pièces jouées en ce moment par des chrétiens, qu’il faut aussi encourager ! (Comme celle-ci).

L’Eglise doit aussi se ré-approprier l’expression artistique pour sa mission première, l’évangélisation. « Vous devez toujours être prêts à témoigner de l’espérance qui est en vous, mais faites-le avec douceur et respect » écrivait le premier pape de l’Eglise. Terminons justement avec les mots providentiels de Benoît XVI, hier à Assises : « Comme chrétien, je voudrais dire à ce sujet : oui, dans l’histoire on a aussi eu recours à la violence au nom de la foi chrétienne. Nous le reconnaissons, pleins de honte. Mais il est absolument clair que ceci a été une utilisation abusive de la foi chrétienne, en évidente opposition avec sa vraie nature. Le Dieu dans lequel nous chrétiens nous croyons est le Créateur et Père de tous les hommes, à partir duquel toutes les personnes sont frères et sœurs entre elles et constituent une unique famille. La Croix du Christ est pour nous le signe de Dieu qui, à la place de la violence, pose le fait de souffrir avec l’autre et d’aimer avec l’autre. »