Voici un résumé des quelque 640 pages de la biographie de Steve Jobs, le fondateur d’Apple, que je viens de terminer. Déjà best-seller planétaire, ce livre retrace le parcours d’une personnalité hors du commun, qui était bien plus que le simple PDG d’une entreprise informatique, révolutionnant chaque domaine qu’il touchait.
La saga de Steve Jobs incarne d’abord le mythe de la Silicon Valley, comme le souligne son biographe : « le lancement d’une petite société dans le garage proverbial pour aboutir à l’édification d’un empire technologique ». « Jobs n’était pas inventeur au sens strict, mais un maître pour mêler idées, art et technologie et ainsi « inventer » le futur. Il avait conçu le Macintosh parce qu’il avait compris le potentiel des interfaces graphiques – ce que Xerox avait été incapable de faire – et il avait créé l’iPod, parce qu’il avait envie d’avoir mille chansons dans sa poche – ce que Sony, malgré ses atouts et son héritage, n’avait pu accomplir. Certains entrepreneurs innovent parce qu’ils ont une vision globale, d’autres parce qu’ils maîtrisent les détails. Steve Jobs faisait les deux. » On lui doit notamment :
– l’Apple II, devenant le 1er ordinateur personnel de grande consommation (et non une machine destinée aux passionnés d’informatique)
– Le Macintosh, initiant la révolution du micro-ordinateur (et popularisant les interfaces graphiques)
– Toy Story et les autres succès de Pixar (dont Disney fut jaloux et qui donnèrent naissance au miracle de l’image numérique)
– Les Appel Store, réinventant le rôle des magasins dans l’identité d’une marque
– L’iTunes Store, donnant un nouveau souffle à l’industrie musicale
– L’iPhone, transformant les téléphones portables en appareil multi-fonctions tactiles : baladeur, appareil photo, gestionnaire e-mail et navigateur web, ouvertes à des milliers d’applications)
– L’App Store, créant à lui seul un nouveau secteur économique : le développement d’applications
– L’iPad, la tablette électronique tactile (qui lui servit de base à l’iPhone), offrant une nouvelle plateforme aux journaux, magazines, livres et vidéos numériques
– L’iCloud, permettant de déposer sur un même « nuage », à travers différents appareils, toutes sortes de contenus.
Né le 24 février 1955 à San Francisco et mort le 5 octobre 2011 à son domicile de Palo Alto, Steve Jobs est d’abord un rescapé de l’avortement. Joanne, sa mère, venait d’une famille rurale du Wisconsin, d’origine allemande et catholique. Son père, Abdulfattah allias « John », musulman originaire de Syrie, était maître-assistant à l’université locale. Steve fut conçu lors d’un voyage à Homs. De retour aux Etats-Unis, Joanne sut qu’elle était enceinte. « Ils avaient tous les deux 23 ans mais décidèrent de ne pas se marier : le père de Joanne se mourrait et avait menacé de déshériter sa fille si elle épousait John. L’avortement était une solution compliquée dans une petite commune catholique. Alors Joanne fit un voyage à San Francisco pour consulter un médecin qui s’occupait des filles-mères, mettait leur enfant au monde et trouvaient discrètement une famille adoptive pour les adopter. »
Les parents adoptifs de Steve Jobs lui offrirent une enfance heureuse, mais il souffrit cependant toute sa vie de cette profonde blessure d’avoir été abandonné. Paul Jobs et sa femme l’emmenaient à l’église luthérienne presque tous les dimanches, mais quand il eut treize ans, en juillet 1968, le jeune Steve emporta au culte un numéro du magazine Life – dont la couverture montrait des enfants du Biafra mourant de faim – et il apostropha le pasteur :
– Si je lève mon doigt, Dieu sait avant moi quel doit je vais lever ?
– Oui, Dieu sait tout, répondit le pasteur.
– Dieu est donc au courant pour ça et ce qui arrive à ces enfants ?
– Steve, je sais que c’est difficile à comprendre, mais oui, il sait.
Faute d’une réponse plus appropriée sur le non-interventionnisme du Tout-Puissant Dieu amour, Steve déclara qu’il ne voulait plus rien savoir d’un tel Dieu, ni remettre les pieds dans une église…
Puis il s’intéressa au LSD et aux paradis artificiels en vogue dans la contre-culture de l’époque. Il se rendit plusieurs fois en Inde, se fit végétarien et amateur de jus de pomme – dont Macintosh est une variété. A partir ce moment, Steve Jobs se tourna vers la philosophie naturaliste et relativiste – autrement dit le new age – pour combler ce grand vide, ne sachant pas quel sens donner à sa vie.
Paul, son père, qui réparait des voitures à longueur de temps, lui apprit « qu’un bon artisan apporte le même soin à toutes les parties de son travail, que celles-ci soient visibles ou non ». Steve Jobs poussera plus tard ce principe à l’extrême, jusqu’à peaufiner la position des puces et des composants sur la carte mère de ses ordinateurs, balayant les objections des ingénieurs qui lui disaient « l’essentiel, c’est que cela fonctionne ». Le boîtier transparent de l’iMac lui donnerait raison un jour…
En attendant, le petit Steve s’intéressait aux auto-radios, puis à l’électronique, avec son ami Steve Wozniak, un petit génie des circuits imprimés, avec qui, bientôt, il fondra Apple.
Profondément artiste, Steve Jobs explore une nouvelle voie : « l’intersection entre les arts et la technologie. » Outre les drogues durent dont cette biographie fait parfois l’apologie, Steve Jobs tire de ses lectures et de ses rencontres « zen » l’inspiration nécessaire à ses créations. Il établira ainsi les principes du design tel qu’il l’entend (un chapitre entier du livre est consacré à cette question) : « Avant, les ingénieux disaient : voilà les entrailles de la bête, et les designers devaient de débrouiller pour faire tenir ça dans une boîte. Mais Steve Jobs répétait que le design était la clef de la réussite, qu’il devrait être à l’origine de la conception, et non l’inverse ». Pour lui, le design n’était pas un simple travail de surface, mais devait refléter l’essence du produit. L’esthétique était donc intégrée au processus de conception et de fabrication. « Il faut aller beaucoup plus loin que le minimalisme : jusqu’au cœur de la complexité du produit, pour l’épurer au maximum, et même repenser, si nécessaire, la manière de le fabriquer ». C’est ce qui aboutira au dépôt de plus de 200 brevets de fabrication, et, plus tard, à l’immense succès de l’iMac, de l’iPod, de l’iPhone et de l’iPad, à la pointe de l’innovation. Même l’alimentation des Macbook, ces petits pavés blancs avec un connecteur aimanté, étaient passées par les mains du fondateur ! Aucun détail n’était laissé au hasard.
Steve Jobs trouvait également de nouvelles idées pendant de longues promenades qui furent sa marque de fabrique, adoptant par exemple les coins arrondis des panneaux de circulation pour ses fenêtres et ses icônes, reprenant la pureté des lignes des plus beaux appareils électroménager qu’il trouvait dans les magasins, comme celles du robot mixer « Cuisinart ». Le style japonais l’attira de plus en plus et il fréquenta quelques uns de ses figures de proue : « j’ai toujours trouvé le bouddhisme, disait-il, en particulier le bouddhisme japonais – d’une beauté absolue. Mon plus grand choc esthétique, je l’ai eu en découvrant les jardins de Kyoto, j’étais impressionné par les chefs d’œuvres qu’avait produit cette culture, et cette beauté puisant sa source directement dans le bouddhisme zen. » (p.158). Il érigeait cette formule en dogme : « la simplicité est la sophistication suprême ». Cela se retrouvait dans ses produits, souvent inégalés par leur beauté et leur facilité d’utilisation. Il n’est pas étonnant que ses premiers clients furent les architectes, les graphistes et tout ceux qui sont concernés par la création artistique. On comprend mieux aussi pourquoi l’interface graphique de Mac est beaucoup plus belle que celle de Windows, à commencer par les icônes auxquelles Steve Jobs apportait une grande importance.
Avec Pixar, qu’il rachète à Georges Lucas, il révolutionna aussi l’industrie du dessin animé, volant la vedette à Disney avec des films aux graphismes époustouflants, comme Toy Story.
Steve Jobs verse aussi dans un volontarisme exacerbé, autrement appelé « champ de distorsion de la réalité », rendant même l’impossible possible. Cela lui permettait de pousser ses équipes à se surpasser. Il était aussi connu pour être colérique, manipulateur, humiliant vis-à-vis de ses collaborateurs, voire exécrable. Ce qui lui valu d’être évincé d’Apple entre de 1983 et 1997, se donnant alors une belle leçon de vie.
Mais par la suite, il donnera à Apple une véritable culture d’entreprise. « Il est inscrit dans les gênes d’Apple que la technologie à elle seule ne suffit pas, répétait-il. Nous pensons que c’est le mariage entre la technologie et les arts, la technologie et les sciences humaines, qui donne naissance à des produits capables de faire chanter notre cœur ». Son credo entrepreneurial : « de bons produits, un bon marketing, et une bonne distribution ». Il voulait ainsi concevoir « des produits qui rendent heureux ses clients » et développa une stratégie de « foyer numérique », « permettant de connecter facilement votre ordinateur de bureau à une foule d’appareils portables ». Il mit aussi au point le concept d’« intégration » pour maîtriser toute la chaine de « l’expérience utilisateur », contrairement à Microsoft qui revendait ses logiciels à des constructeurs d’ordinateurs comme Dell ou IBM.
Microsoft ? « Ils étaient très doués en matière de marketing, mais concernant leurs produits, ils ont été moins ambitieux qu’ils auraient dû, déclara Steve Jobs. Bill aime se définir comme un homme de produits, mais c’est faux. Microsoft ne fabrique que des produits de troisième ordre et Bill est un homme d’affaires. Gagner des parts de marché était plus important pour lui que réaliser des chefs d’œuvre. (…) C’est un type brillant, qui a beaucoup d’humour. Mais l’humanité et l’art ne sont pas inscrits dans les gènes de Microsoft. Même le Mac, ils n’ont pas su le copier correctement. Ils sont passés complètement à côté. » (p. 636-637)
De fait, en janvier 1984, Apple sortit le premier système d’exploitation pourvu d’une interface graphique (avec une souris) quand Microsoft en fit une pâle copie – sans les fenêtres qui se chevauchent, par exemple – via son Windows 1.0, presque deux ans plus tard.
La « philosophie marketing » d’Apple fut rédigée un jour en une page, avec trois points capitaux :
– L’empathie : « une connexion intime avec les attentes des clients » : « nous devons comprendre leurs besoins mieux que toute autre entreprise », disait Steve Jobs (p. 105). « Certains disent : ‘Donnez au client ce qu’il souhaite’, ce n’est pas mon approche. Notre rôle est de devancer leurs désirs. Je crois qu’Henri Ford a dit un jour : « Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils désiraient, ils m’auraient répondu : ‘un cheval plus rapide !’ ». Les gens ne savent pas ce qu’ils veulent tant qu’ils ne l’ont pas sous les yeux, voilà pourquoi je ne m’appuie jamais sur les études de marché. » (p. 637)
– La convergence : « afin que notre travail soit le plus efficace possible, il faut éliminer toute activité secondaire. » Ainsi Steve Jobs fit souvent choisir à ses équipes un seul produit à développer, pour s’y consacrer au maximum et rester concentré dessus.
– L’incarnation : « l’opinion qu’a le public d’une marque se fait en fonction des signaux qu’elle envoie. » Ainsi Steve Jobs se souciera toujours de l’image de ses produits, jusqu’au carton d’emballage : « Les gens jugent un livre à la couverture, disait-il, nous pouvons avoir le meilleur produit du marché, la meilleure qualité, le meilleur système d’exploitation, si nous les présentons de manière merdique, tout cela sera perçu comme de la merde », disait-il abruptement. Il renouvela la publicité faite autour du lancement d’un nouveau produit. Ces derniers étaient organisés comme des cérémonies religieuses, les fameuses « grands messes d’Apple », dont s’inspirent désormais de grandes enseignes, comme l’a fait par exemple ces jours-ci Xavier Niel de Free.
Le livre revient aussi sur les rapports compliqués du fondateur d’Appel avec celui de Microsoft : « Il aurait pu être un gars plus ouvert d’esprit s’il avait pris de l’acide dans sa jeunesse ou mis les pieds dans un ashrâm hindou », disait Steve Jobs de ce dernier (p. 209). Bill Gates n’était pas rancunier et vouait une grande admiration à son rival, toujours très impressionné par les nouveaux produits qu’il sortait, comme en attestent quelques un de ses e-mails. Ils se rencontrèrent souvent et Bill Gates lui rendit même longuement visite chez lui lorsqu’il essayait de se battre contre son cancer.
La stratégie de Steve Jobs s’avéra payante sur le long terme. En mai 2000, la valeur d’Apple correspondait à 1/20e de celle de Microsoft. Dix ans plus tard, en mai 2010, Apple surpassait Microsoft, devant la société la plus rentable du secteur technologique. En septembre 2011, elle valait 70% de plus que la firme de Bill Gates…
Vers la fin de sa vie, épuisé par ses traitements – il avait d’abord essayé pendant neuf mois les médecines alternatives – Steve Jobs s’interrogea sur l’existence de Dieu et la réincarnation. « Je crois en Dieu à 50/50, déclara-t-il. Durant la majeure partie de ma vie, j’ai toujours eu le sentiment qu’il existait un versant caché de mon existence. J’aime croire que quelque chose survit après notre trépas. Il est étrange d’accumuler toute expérience, et un peu de cette sagesse, pour que tout s’évanouisse brutalement. Alors j’ai vraiment envie de croire que quelque chose perdure… »
Canonisé aujourd’hui par le consumérisme mercantile, devenu une idole du monde contemporain au point d’être érigé en ‘sauveur’, Steve Jobs n’en garde pas moins l’étoffe des génies. « Votre temps est limité, avait-il déclaré dans son fameux discours aux jeunes diplômes de l’université de Stanford, ne le gâchez pas en menant une existence qui n’est pas la vôtre. Soyez insatiables, soyez fous ! Ne soyez pas prisonniers des dogmes qui obligent à vivre en obéissant à la pensée d’autrui. Ne laissez pas le brouhaha extérieur étouffer votre voix intérieure. Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. L’un et l’autre savent ce que vous voulez réellement devenir. Tout le reste est secondaire. »
Notre époque matérialiste à tout crin et complètement intoxiquée aux techno-sciences a vraiment les pseudos-génies qu’elle mérite…
@Florent : le matérialisme n’empêche pas les génies, heureusement. A quoi définissez-vous un génie ? Il me semble que Steve Jobs en a tous les ingrédients.
Je sais, il n’est pas de bon ton de critiquer le… “génie”, car l’unanimité crie qu’il en est un et le glorifie, mais pour comprendre à quel point Jobs avec son slogan “think different” s’inscrit même dans le plus pur conformisme de notre monde déliquescent, monde qui vomit partout le triomphe de la contre-culture et de l’horizontalité, je vous invite à lire le livre de Jean-Pierre Denis, “Pouquoi le christianisme fait scandale”.
En attendant, ce petit texte bien senti: http://bouteillealamer.wordpress.com/2011/10/18/lettre-sur-le-steve-jobisme/
@Florent : merci de votre suggestion de lecture. Je comptais justement me procurer ce livre, dont j’ai beaucoup entendu parler. Cela dit, si vous vous penchez sur la vie de Steve Jobs, vous verrez qu’il était justement particulièrement anti-conformiste. Un exemple : il a longtemps été hippie, même comme programmeur chez Attari, au point qu’il travaillait de nuit… Je continuer de pense qu’il est était génie au sens d’inventeur, non du christianisme, évidemment. Qu’Apple ait su ensuite répondre aux canons du consumérisme mercantile avec des slogans porteurs, cela n’a rien d’étonnant.
Dans le film qui présente Steve et Bill, il y a une citation – j’ignore si elle est réellement historique, et de toute manière je n’ai plus la formule du film en tête – qui fait dire à Steve que son objectif est de révolutionner la manière de penser… c’est de toute manière totalement cohérent avec le personnage hippie et perfectionniste à la fois.
Pour moi le problème que j’ai avec le stevejobisme et ceux de mes contemporains qui lui vouent plus d’admiration que moi est là: jamais je n’ai vu qu’il avait envie de réellement améliorer l’humanité, de donner, de mettre ses qualités au service des plus pauvres, des plus faibles, de plus d’équité, etc…
Il n’était pas seulement fâché avec Dieu – à qui il reprochait de laisser des enfants mourir de faim ??? , mais même avec l’humanisme le plus horizontal. Odieux avec ses propres employés, qu’aura-t-il fait pour les enfants qui meurent de faim?
Rien dans cette oeuvre “géniale” qui a vraiment atteint ses buts, n’est fait pour le bien de l’humanité.
L’humain autant que le Divin sont exclus de cette “création”. (même le business man Bill a fait une fondation lui)
Et l’on en subit lourdement les conséquences: nous avons vraiment changé notre manière de penser et de travailler (perdre notre temps à taper sur des ordinateurs), à tel point que nous laissons l’environnement mourir sous nos yeux en continuant nos comportements qui le dégradent, et que pour les ressources en énergie qui font tourner ces machines nous sommes toujours plus prêts à nous entretuer.
Non vraiment, même en reconnaissant ses immenses qualités, notamment son sens aigu de l’observation et sa finesse de jugement, rien ne me convainc que Steve Job s’est battu pour le bien, pour le mieux être des autres;
du coup je ne peux l’admirer, et même, pardon pour un jugement si déplacé, mais je reste avec l’idée que probablement ses visions et produits ont beaucoup contribué à la déchéance de l’humanité déjà commencée et qui s’annonce encore plus complète dans le futur proche.
PS: JB, ton mot est criblé de fautes d’orthographe, désolé mais ça ne va pas.
Merci, je suis assez d’accord avec toi. C’était surtout un génie de l’informatique et du design.
Ps : peux-tu me dire où sont ces fautes ?
Dieu sait avant moi quel doit je vais lever
faute de temps: le boitier de l’imac lui donnerait (donnera)
bcp de fautes de temps: imparfait, présent, passé??
des Macbook
l’alimentation étaient
Ce qui lui valu d’être évincé d’Apple entre de 1983 et 1997, se donnant -> lui ? donnant
une idole
bref il n’y a pas que de l’orthographe, et de toute manière je ne peux pas tout relire, je suis debout à 4h demain matin…
++
du fondateur d’Appel
appareils électroménager
quelques uns de ses figures de proue
etc