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Sur le concept du visage du fils de Dieu : suite et fin

 

Suite à de nombreuses réactions, un document de synthèse…

L’affaire du Théâtre de la Ville n’en finit plus de faire des vagues. Ils étaient encore là dimanche soir, à chanter des chants royalistes comme « les bleus sont là le canon gronde », arborer des bannières « La France est chrétienne » (ce qui n’est plus le cas depuis longtemps), ou crier des slogans au porte-voix comme « Nous sommes là pour vous faire expier vos péchés ».

Programmée depuis longtemps au théâtre parisien le « 104 » du 2 au 6 novembre, la pièce continue d’être jouée, et les manifestations s’y sont déplacées, sous l’impulsion notamment d’Alain Escada, le secrétaire général de Civitas, groupuscule dont le but affiché est « d’établir la royauté sociale du Christ ». Quand on sait que l’entreprise chargée de la sécurité de ce théâtre serait dirigée par un ancien du GUD, groupuscule d’extrême droite (« Groupe d’union défense »), cela promet… D’ailleurs, comme dans l’affaire du « kiss in » de Lyon, la presse révèle déjà la participation de ces militants du GUD, en blousons noirs, ainsi qu’un ex-membre du FN, connu pour ses saluts nazis.

Présent également, le « Renouveau français » (rien à voir avec le renouveau charismatique !), créé en 2005, qui regroupe une centaine de jeunes : leur fondateur, Thibaut de Chassey, qualifie leur nationalisme comme « classique, sans concession, d’inspiration contre-révolutionnaire et catholique » (sic). Une intransigeance qui fait peur et qui monte à droite de la droite…

Patrice de Plunkett, qui était déjà monté au créneau lors du kiss in de Lyon, (lire ‘Du bon usage de la protestation catholique‘) rappelle « l’ahurissante apparition du curé du Chardonnet déguisé en cheikh arabe : comme si le sujet de ce rallye place du Châtelet avait été le ‘combat contre l’islam’, idée fixe n° 1 de ce milieu) ». Il relate également cette belle contradiction : un groupe islamiste, Forsane Aliza, soutient à son tour les manifestations !

Bref, ce contre-témoignage de certains manifestants fait du mal à l’Eglise, dont d’ailleurs bon nombre d’entre eux sont séparés depuis le chisme de Mgr Lefebvre. Donner des battons pour se faire battre, est-ce une attitude louable et judicieuse ?

Comme nous l’avions dit ici la semaine dernière, c’est un spectacle désolant donné aux médias, dont ils font largement écho, et on pouvait s’y attendre. Rien que dans le numéro de ce jour du gratuit 20 minutes, deux articles font référence à ces événements et annoncent grâce à eux une autre pièce, Golgota Pic nic, faite celle-ci dans un esprit de provocation (et revendiqué comme tel), à laquelle il faudra trouver une réponse adaptée.

« Merci au cardinal Vingt-Trois »

Le vendredi 28 octobre, une première réaction fut celle de Mgr Aupetit, vicaire général du diocèse de Paris, sur Radio Notre Dame, à l’occasion de sa chronique hebdomadaire, à écouter directement ici :

« Je crois que cette action violente n’est pas adaptée à la situation, a-t-il affirmé sereinement. Qu’auraient-ils fait, ces jeunes gens, le soir du jeudi saint et le vendredi saint, quand Jésus fut réellement bafoué, couvert de crachas et flagellé à mort, auraient-ils tiré leur épée du fourreau comme Pierre qui s’est entendu dire par Jésus lui-même : celui qui prend l’épée périra par l’épée. Cette pièce manifeste l’immense désespoir des hommes devant leur déchéance, dont Dieu paraît absent. (…) Elle suscite une véritable réponse chrétienne. »

Dans le même temps, un proche du diocèse de Paris, que j’avais informé de mon premier billet, me répondait en soulevant la question de l’opportunité du chapelet dans la rue quand il semble être proclamé avec ostentation à l’intention des personnes en face. Il m’écrivait : « Vous avez raison d’insister sur l’inefficacité médiatique (très mauvaises image des cathos et des croyants) et générale : publicité énorme du spectacle qui fait le plein et dont les représentations ne sont pas annulées. Si je voulais laisser un commentaire, je demanderais : des belles prières par des jeunes joyeux dans la rue, c’est bien. Mais alors pourquoi cette consigne de Jésus, la seule formulée à la forme négative ce me semble concernant la prière : « Quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment à se planter dans les synagogues et les carrefours afin qu’on les voie » (Mt 6,5). Ne peut-on pas inventer d’autres modes d’action si l’on est jeune et joyeux ? »

Un commentaire sur un blog relevait en effet avec justesse « cette façon de s’agenouiller en se prenant pour successeurs des premiers chrétiens dans les arènes »… Sur la photo de ce billet, on peut voir aussi une jeune fille, porte-voix dans une main, chapelet brandit dans l’autre. Manifester et prier le chapelet, n’est-ce justement pas un mélange des genres ?

Manifestations contre la “christianophobie”

Le samedi 29 octobre au matin, alors qu’allait avoir lieu en fin d’après-midi une manifestation contre la « christianophobie », le cardinal Vingt-Trois montait au créneau sur Radio Notre Dame pour dénoncer « des manifestations de violence » et appeler en substance à « ne pas servir de masses de manœuvres (…) à des groupuscules très politisés qui agissent sans mandat de l’Eglise ».

Ecoutez directement l’extrait concerné :

« L’authenticité de la foi n’est pas de s’imposer par la violence », a ainsi affirmé l’archevêque de Paris, bientôt repris par des journaux comme La Croix et salué par de nombreux blogs avec des « Merci au cardinal ».

S’il ne se prononce pas sur le fond de la pièce de l’Italien Romeo Castellucci, qu’il n’a « pas vue », il a en revanche affirmé que les manifestants appartenaient à « un groupuscule rattaché au mouvement lefebvriste », et ne disposant d’« aucun mandat » pour se réclamer de l’Église catholique. « On ne fait pas un appel à la liberté en jetant des œufs pourris sur les gens ou de l’huile de vidange », a-t-il martelé, en référence aux incidents qui ont émaillé la première représentation de la pièce. Certains manifestants avaient alors jeté sur les spectateurs des œufs ou de l’huile de vidange. « On est en face de gens qui sont organisés pour des manifestations de violence, et pour obtenir, ce qu’ils ont obtenu d’ailleurs, une place dans les journaux », a jugé l’archevêque de Paris. Ce sont des arguments que j’utilisais jeudi ici même : en effet, ces manifs ont donné à la pièce une gigantesque couverture médiatique, en effet la violence est présente, même si elle n’est pas le fait de tous les manifestants. Interrogé enfin sur la « bonne foi » des manifestants, Mgr Vingt-Trois a fait la différence entre « les gens qui sont conscients de la stratégie » et « ce que Lénine appelait les idiots sympathiques qui servent de masses de manœuvre. (…) Ce n’est pas parce qu’ils sont de bonne foi que ce qu’ils font est juste », a ajouté l’archevêque de Paris. Il a aussi estimé que « leur appartenance à des groupes très politisés et très militants, y compris sur le plan religieux, ne favorise pas leur formation mais au contraire les déforme. »

Quid du soutien affiché d’autres évêques ? Il est possible que, contactés par Civitas, ils aient été piégés en soutenant officiellement ces manifestations, sans savoir ce qu’il en était vraiment. Un de ces évêques a tout de même souligné la nécessité de ne pas « user de violence », ce qui n’a pas été toujours entendu. Reviendront-ils pour autant sur leurs déclarations en se rangeant à l’avis de l’évêque ordinaire du lieu ?

On peut ne pas être d’accord avec l’archevêque de Paris, mais qui d’autre est le mieux ‘placé’ (!) pour discerner si ces manifestions sont justifiées ou non, et si la réponse est adéquate ? Nous, catholiques fidèles à Rome, nous devons apprendre à rester dans l’obéissance quand il s’agit d’une conduite commune à adopter, en faisant nôtre ce verset de l’Evangile : « qu’ils soient un pour que le monde croit que tu m’as envoyé » (Jean 17). Nous devons nous situer publiquement non pas en opposition avec nos pasteurs, mais en communion avec eux, pour ne pas trahir l’unité de l’Eglise, ou pire encore faire le jeu du diviseur.

Quitte à écrire à nos évêques, personnellement, si nous ne sommes pas d’accord. Notre devoir est bien de réfléchir sur la meilleure attitude à adopter, pas de foncer tête baissée. L’attitude proposée par le cardinal Vingt-Trois, comme Président de la Conférence des évêques de France, ou par son entourage, doit nous interroger, sans cléricalisme et avec bienveillance.

Une pièce vraiment « blasphématoire » ? Des cathos témoignent…

Le caractère blasphématoire de la pièce reste encore à démontrer. En effet, « Sur le concept du visage du Fils de Dieu » est très éloigné de Golgota Pic nic, malgré l’amalgame qui a pu être fait, consciemment ou non. Nous en parlions ici. Comme le rappelle encore Patrice de Plunkett sur son blog, il y a un énorme malentendu, dont Castelluci s’insurgeait dans cet interview au Monde. « A lire ces propos de Castellucci, commente le journaliste-écrivain, on voit à quel point les manifestants sont hors sujet. Ils n’ont pas vu la pièce. Leurs quelques supporters prêtres ne l’ont pas vue non plus. Castellucci est typiquement quelqu’un qui « demande compte » à l’Eglise de l’espérance qui est en elle. L’Eglise lui répond-elle sur ce terrain et sous ce mode (évangélique) ? Oui en Italie, en Pologne, et même en France, à Avignon, où les bénédictins sont venus discuter avec Castellucci – il leur rend hommage dans son entretien. Mais pas à Paris… Dans la capitale, la visibilité catholique est squattée par les récents exclus du FN, désormais à la recherche de choses à faire. Puis-je me permettre de demander aux Bernardins et à l’archidiocèse ce qu’on attend pour rétablir la situation ? »

Or depuis, des cathos ont vu la pièce. L’abbé Pierre-Hervé Grosjean (Padreblog.fr), prêtre du diocèse de Versailles, nous a rendu un grand service : il est allé la voir. Il révèle du même coup un aspect de la manipulation. Voici son témoignage donné tout d’abord au Forum catholique, repris sur de nombreux blogs :

« On peut aimer ou pas. On peut critiquer la mise en scène. Mais je l’affirme: je n’y ai pas vu d’intention blasphématoire. J’en suis même sorti bousculé, marqué. Elle appelle à une vraie réflexion sur la souffrance, sur la compassion de ce fils pour ce vieux père. Compassion du Fils pour notre vieille humanité souillée. Encore une fois, on peut la discuter. Ne pas aimer du tout. Mais je demande à ceux qui hurlent au blasphème : l’avez vous vu jouée ?jusqu’au bout ? Jusqu’à ces derniers mots sur lesquels on termine : “tu es mon berger” Mot lumineux, qui prennent le dessus sur le “not” qui s’insère comme le doute peut parfois attaquer notre confiance.

J’en veux à ceux qui nous ont instrumentalisés. J’en veux à ceux qui ont envoyé des jeunes au casse pipe. J’en veux à ceux qui se servent de tout cela pour se faire de la pub…

Dans la salle, ce soir, trois jeunes tradis étaient là, venus pour foutre le bazar. j’en connaissais un que j’avais donc repéré dans la file d’attente. Par sms, je lui ai dit : “attends, regarde, écoute… puis juge en conscience”. Ils ont rien fait finalement. à la sortie, ils m’ont dit : “on se sent trahis, on nous a menti en criant au blasphème, on a été manipulés. L’abbé X… et l’abbé Y….. nous ont poussé à y aller pour interrompre le spectacle, en nous disant que nos frais de justice seraient payés… On a été manipulés”.

Il est urgent qu’on prenne le temps de réfléchir à notre façon d’être catholiques dans ce monde. Pour ne pas nous tromper de combat. Pour ne pas se laisser divisés.

C’est mon humble avis. L’honnêteté intellectuelle m’oblige à le dire. Qu’on ne se fasse pas de procès en catholicité les uns les autres. Je respecte ceux qui auraient été choqués par la pièce. J’ai un peu de mal à comprendre ceux qui affirment fortement un jugement aussi grave que l’accusation de blasphème, sans l’avoir vue. En tout cas, cette accusation doit être nuancée : le blasphème n’est en rien évident ».

Une autre catholique, Myriam Picard, membre de Riposte Laïque, écrit une tribune pour Nouvelles de France, un site traditionnaliste qui émet aussi des réserves sur ces manifestations :

« J’ai 26 ans, je suis catholique et je sors du Théâtre de la Ville. J’en sors troublée, infiniment. J’ai pris une claque dans la gueule. Pas une claque de génie, non. Castellucci n’est ni Claudel ni Dostoïevsky. Il se contente de mettre sous nos yeux une scène, une scène infiniment banale et brutale, quotidienne, atrocement classique et sordide : un fils s’occupe de son père qui se souillera trois fois. C’est tout. Le texte ? Rien du tout, un échange basique qu’un adolescent rédigerait aisément. Le seul intérêt de la pièce : le visage du Christ s’y trouve en permanence, interrogation et réponse silencieuse dans ce face à face du vieillard qui se venge sur Dieu de sa déchéance, et de ce Christ qui porte les stigmates, sur son visage, du péché de cet homme. Merde ou crachats, peu importe : le Christ endosse ce désespoir et cette solitude et prévaut du début à la fin de la pièce (…)

A la sortie du théâtre, j’ai discuté avec deux femmes, une athée et une juive agnostique. Les deux étaient troublées, les deux m’ont dit avoir trouvé la pièce profondément chrétienne. Juste avant le spectacle, j’avais interrogé un trentenaire qui m’avouait venir voir la pièce pour la deuxième fois : férocement athée depuis des années, il avait « reçu un choc » une première fois et pris conscience que « le christianisme, en fait, ça a peut-être un sens ». Il voulait vérifier cette impression, courageusement, car elle ébranlait des années de combat forcené contre la foi.

Quant à moi, oui, je l’affirme, cette pièce m’a conduite encore plus au Christ… La froideur terrible de cette scène de théâtre où le mobilier suinte la solitude et la mort, cette froideur bousculée par l’incontinence du père et par l’amour de son fils qui se démène pour le soigner et réconforter, cette froideur dominée par la lumière et la puissance qui se dégage du Christ de Messine m’aura renvoyée à deux choses : l’apparente vacuité de notre vie terrestre – tout particulièrement à notre époque – et le seul sens, la seule question qui peuvent y être opposés : le Christ. Le Berger. My shepherd”. »

Il est intéressant de noter que nombre de traditionnalistes catholiques (et même des lefbvristes intégristes) commencent ainsi à douter du bien-fondé de ces manifestations. Comme Jacques de Guillebon, catholique de sensibilité traditionnelle, qui publie une autre tribune au vitriol dans Nouvelles de France, intitulée « L’honneur des imbéciles ». « Je refuse, écrit-il, et je suis loin d’être le seul, et nous sommes très nombreux, qu’une poignée de défenseurs autoproclamés de l’honneur du Christ prenne en otage ma foi et ma confession. Ce spectacle lamentable de jeunes gens dépourvus de libre-arbitre autant qu’incapables de la moindre réflexion esthétique, qui défilent, grognent et insultent, en sus d’être lassant, ridiculise généralement l’intelligence catholique que vingt siècles ont construite. »

Plus révélateur encore, Yves Dadoual, membre de la « réacosphère » comme diraient certains médias, proche du Front national, a jeté un pavé dans la marre sur bon blog : « La pièce telle qu’elle a été jouée en Avignon, si j’en crois les comptes rendus de l’époque, était au mieux ambiguë (ou nihiliste), au pire blasphématoire. La pièce telle qu’elle est jouée à Paris, si j’en crois les comptes rendus de catholiques qui l’ont vue, est au pire ambiguë, au mieux profondément chrétienne. Si à la fin de la pièce le visage du Christ apparaît de nouveau, intact, il est difficile de ne pas voir que sa destruction est l’image de la Passion, suivie de la résurrection. Et le reste de la pièce, nonobstant l’obsession scatologique, est une parabole sentie de la condition humaine, car nous sommes en effet tous dans la merde, et nous tachons tout ce que nous touchons, sous le regard de Dieu, qui nous attend, qui attend même nos blasphèmes, ou nos doutes, mais qui est là, qui reste là, même quand nous avons tout démoli, et qui nous attend toujours. « Il n’a pas détourné sa face de moi, et quand j’ai crié vers lui il m’a exaucé. » Psaume 21, 6 (le psaume de la Passion, qui commence par ‘Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné’). »

Dans la ligne de mire : Golgota Picnic

Un internaute écrivait dans un commentaire : « Le vrai courage, c’est de répondre chrétiennement, pas de chercher le triomphe personnel de la gloriole “je suis un martyr !”, mais de prendre le risque de se prendre une autre claque en faisant connaître le vrai visage du Christ. C’est leur présence au nom du catholicisme qui pollue voire empêche toute évangélisation. Quand je pense qu’un de mes élèves qui taperait “art et catholique” sur Google tomberait sur ces allumés, cela me fout en rogne. Ils sont l’exemple même (avec les grands patrons soi-disant catholiques) du contre-témoignage absolu. »

Aussi, j’aimerais lancer ce débat auprès de vous, amis lecteurs : qu’allons-nous faire pour réagir à Golgotta Pic nic, le mois prochain ?

Nous l’avons dit et nous persistons : si nous voulons que nos prochaines réserves ou revendications éventuelles soient entendues, il faudra agir différemment, sur un autre terrain que celui où veut nous emmener l’adversaire.

Cet autre paradigme est bien celui de l’évangélisation, dont l’âme est la charité. Une piste serait même la nouvelle évangélisation lancée par Jean-Paul II, poursuivie aujourd’hui avec Benoît XVI : quelle réponse adéquate donner aux épanchements du monde réel, de nos contemporains qui tous cherchent Dieu, souvent sans le savoir, ce fameux « Dieu inconnu » ?

Evangéliser par le théâtre, comme le font déjà de nombreux catholiques, doit être ici une priorité. Oui, l’urgence n’est pas de hurler quand l’art contemporain emprunte le visage du Christ pour y peindre sa Passion, mais d’annoncer cette Passion et cette Résurrection du Fils de Dieu, avec douceur et respect.