La cathosphère est enflammée, mais de quoi ?

La cathosphère serait enflammée, lit-on dans certains médias.. Mais de quoi ? Enflammée de l’amour de Dieu, pour l’annonce de l’Evangile ? Certainement, mais alors pas assez ! Depuis quelque temps déjà je me disais, voyant les discussions sur Facebook entre catholiques : « J’aimerais qu’on parle moins de crise de l’Eglise, et plus de sa mission première, l’évangélisation ». Or cette lettre de Benoît XVI me semble une formidable opportunité, oserais-je dire une chance, de nous interroger à ce sujet ! Mon avis sur la question…

Le texte à l’origine de cette nouvelle polémique est de Benoît XVI. Je viens de le lire en entier (faites-le aussi), et je ne suis pas vraiment surpris : le pape émérite rappelle certaines vérités toujours bonnes à entendre et à être rappelées… même si cela dérange. Et je découvre que dans ce qui fait débat ici, il est bien question d’évangélisation…

Notons d’abord que Benoît s’inscrit dans la droite ligne de son successeur, qu’il a même ces mots de conclusion :

Au terme de mes réflexions, je tiens à remercier le pape François pour tout ce qu’il fait afin de nous montrer, encore et toujours, la lumière de Dieu, qui n’a pas disparu, même aujourd’hui. Merci, Saint-Père !

Il est donc inutile d’opposer le pape François et Benoît XVI, comme l’on fait certains commentateurs au sujet de cette prise de parole inattendue ! Je ne m’étendrai pas ici sur les abus dont il est question, ils sont réels et les victimes ont besoin de tout notre soutien. Ils ont aussi besoin de justice, c’est le premier degré de la charité que nous leur devons.

Cependant, comme je suis un passionné de l’évangélisation, qu’il me soit permis d’y relever tout ce qui a trait à cette mission n°1 de l’Eglise. Aussi vais-je ici délibérément me concentrer sur la 3ème partie du texte.

Benoît XVI y pose d’abord une bonne question :

Que devons-nous faire ? Peut-être devrions-nous susciter une autre Église en réponse à ces problèmes ? C’est quelque chose qui a été déjà expérimentée, et qui a échoué. Seuls l’obéissance et l’amour envers notre Seigneur Jésus-Christ peuvent nous montrer la voie à suivre. Commençons donc par essayer de comprendre à nouveau, et de l’intérieur, ce que le Seigneur a voulu et veut avec nous.

Faisons-nous l’effort – spécialement en ce temps de Carême – de comprendre ce que Jésus veut nous dire ? Et puis, (tant que nous y sommes ;-)), de ce que Benoît XVI a aussi voulu nous dire dans ce texte ?

Le pape rappelle donc, fort utilement, ce qu’est la voie du salut pour toute l’humanité : « apprendre à aimer Dieu ». Un Dieu qui vit une « histoire d’amour avec nous » et souhaite y associer tous les hommes (ce qui devient possible par l’évangélisation) :

Si nous voulions synthétiser au maximum le contenu de la foi tel qu’il est présenté dans la Bible, nous pourrions dire que le Seigneur a initié une histoire d’amour avec nous et souhaite y associer toute la création. Le contrepoids contre le mal, qui nous menace et menace le monde entier, ne peut consister qu’en notre abandon à cet amour. Il est le vrai contrepoids au mal. La puissance du mal naît de notre refus d’aimer Dieu. Celui qui met sa foi dans l’amour de Dieu est racheté. Le fait que nous ne soyons pas rachetés est une conséquence de notre incapacité à aimer Dieu. Apprendre à aimer Dieu est donc la voie de la rédemption pour l’humanité.

Aussi, nous est-il demandé de nous rappeler que pour être sauvés, il faut mettre notre foi en Dieu. Benoît XVI nous dit aussi que cet apprentissage ne peut se faire dans un esprit de relativisme, en l’occurrence du bien ou du mal, esprit qui ne peut conduire à la certitude de l’existence de Dieu – de ce Dieu amour, créateur, qui est bon et qui veut le Bien, esprit qui ne peut donc conduire les hommes à la foi :

Le premier don fondamental que nous offre la foi est la certitude que Dieu existe. Un monde sans Dieu ne peut être qu’un monde dépourvu de sens. Car sinon, d’où vient tout ce qui est ? En tous cas, il n’y aurait pas de fondement spirituel. C’est simplement là, sans véritable but ni sens. Il n’y a alors pas de notion de bien ou de mal. Celui qui est plus fort que l’autre s’impose. Le pouvoir est alors l’unique principe. La vérité ne compte pas, elle n’existe d’ailleurs pas. C’est seulement quand les choses ont un fondement spirituel, qu’elles sont voulues et pensées — seulement quand il y a un Dieu créateur qui est bon et qui veut le Bien — que la vie de l’homme peut également avoir un sens.

Un peu plus loin, Benoît XVI nous rappelle la tâche qui nous revient, notre responsabilité première, à nous catholiques :  transmettre ce joyeux message d’un Dieu amour et qui existe ! Autrement dit, l’évangélisation…

Alors la phrase « Dieu est » devient in fine un message de joie, précisément parce qu’Il dépasse toute compréhension, parce qu’Il crée et est l’amour. Faire en sorte que les hommes reprennent conscience de ce message est la tâche première et fondamentale que le Seigneur nous confie.

Jean-Paul II disait fort justement que sans le Christ, il n’y a pas de place pour l’homme (1). Benoît XVI ne dit pas autre chose en regardant lucidement notre société occidentale qui, pour une grande part, refuse Dieu :

Une société sans Dieu — une société qui ne Le connaît pas et qui Le considère comme inexistant — est une société qui perd son équilibre. Notre époque a vu l’émergence de la formule coup de poing annonçant la mort de Dieu. Quand Dieu meurt dans une société, elle devient libre, nous assurait-on. En réalité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la mort de la liberté, parce que ce qui meurt, c’est le sens, qui donne son orientation à la société. Et parce que la boussole qui nous oriente dans la bonne direction en nous apprenant à distinguer le bien du mal disparaît. La société occidentale est une société dans laquelle Dieu est absent de la sphère publique et n’a plus rien à y dire. Et c’est pour cela que c’est une société dans laquelle l’équilibre de l’humain est de plus en plus remis en cause.

Aussi, en toute logique, Benoît XVI appelle à replace Dieu – et donc le Christ – au centre de nos vies, de nos existences, et donc de notre mission de baptisés :

L’une des premières tâches qui doivent découler des bouleversements moraux que connaît notre époque, consiste à ce que nous nous remettions à vivre de Dieu et ancrés en Lui. Nous devons avant toute chose réapprendre à reconnaître Dieu comme le fondement de nos vies et non à le laisser de côté comme une parole creuse. Je garde en mémoire cet avertissement que m’adressa un jour Hans Urs von Balthasar dans l’une de ses cartes : « Ne pas faire du Dieu trinitaire, Père, Fils et Esprit un postulat, mais une priorité. »

A l’instar de Paul VI qui disait que le monde attend davantage des témoins que des maîtres (2), Benoît XVI pointe un danger d’aujourd’hui : être précisément des maîtres, plutôt que des chrétiens constamment renouvelés dans la foi, autrement dit des témoins !

Dieu s’est fait homme pour nous. Sa créature humaine est si chère à son cœur qu’il s’est unifié à elle et s’est ainsi intégré dans son histoire de manière très concrète. Il parle avec nous, il vit avec nous, il souffre avec nous et il a pris la mort sur lui pour nous sauver. Il est vrai que ceci est évoqué en détail dans la théologie, avec des mots et des pensées savantes. Mais c’est précisément ainsi que nous courons le risque de devenir des maîtres de la foi au lieu de nous laisser renouveler et gouverner par la foi.

Le pape émérite balaye aussi d’un trait les critiques de ceux qui pointent du doigt le risque de schisme, comme si un désaccord pouvait survenir sur notre propre vision de ce qu’est un catholique et de sa mission, qui s’appuie sur le sacrifice de la messe, sur cette présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie  :

C’est pourquoi, quand nous réfléchissons aux mesures qui sont à entreprendre, il apparaît clairement que ce n’est pas d’une nouvelle Église inventée par nos soins dont nous avons besoin, mais bien plus d’un renouvellement de la foi en la réalité de Jésus-Christ qui nous est offerte dans le Saint Sacrement.

De fait, c’est d’un renouvellement, d’une régénération de notre foi en Jésus – Jésus prem’s dans nos vies ! 😉 – que pourra jaillir un renouveau de toute de l’Eglise. Cette rencontre personnelle avec le Christ sera alimentée par notre prière commune et intime, en particulier le source et le sommet de la vie chrétienne qu’est la messe. Mais aussi l’oraison, comme l’adoration du Saint Sacrement, qui nous donne la compassion, nécessaire à toute prise de conscience de ce trésor de la foi pour nous, et l’envie de le communiquer aux autres et au monde entier : encore l’évangélisation !

Benoît termine enfin sur le mystère de l’Eglise, après la Résurrection du Christ, qui s’ « éveille dans les âmes » et éveille les âmes à Dieu :

Et enfin, il y a le mystère de l’Église. La phrase avec laquelle Romano Guardini a exprimé, il y a presque 100 ans, la joyeuse espérance qui s’était emparée de lui et de tant d’autres, est restée dans les mémoires : « Un événement d’une portée incommensurable a débuté. L’Église s’éveille dans les âmes. »

Là-dessus, s’appuyant sur le combat de Job et l’Apocalypse, Benoît XIV nous montre comment le diable veut contrecarrer notre mission de chrétiens, tout simplement en jetant sur nous le discrédit (bien évidemment à raison, tenant bien son rôle d’accusateur, lorsqu’il nous aide hélas à chuter…) :

L’Apocalypse nous dit précisément la même chose [que ce passage avec Job] : le diable veut prouver que les hommes justes n’existent pas. Que la vertu des hommes n’est qu’un artifice extérieur. Et que si l’on y regardait de plus près, les masques de vertu auraient tôt fait de tomber. (…) Le diable proclame, non seulement à Dieu mais avant tout aux hommes : regardez ce que ce Dieu a fait. Une création soi-disant bonne, mais en réalité misérable et répugnante. Cette façon de dénigrer la création est en réalité une façon de dénigrer Dieu. Elle veut nous prouver que Dieu lui-même n’est pas bon, et ainsi nous détourner de Lui.

Et Benoît XVI d’ajouter :

Aujourd’hui, l’accusation contre Dieu consiste principalement à dénigrer purement et simplement son Église dans le but de nous en éloigner. L’idée d’une meilleure Église créée de nos mains est en fait une suggestion du diable, par laquelle il veut nous détourner du Dieu vivant dans une logique mensongère, qui nous dupe trop facilement. Non, l’Église n’est pas uniquement constituée, même actuellement, de mauvais poissons et d’ivraie. Aujourd’hui, l’Église de Dieu existe également, et c’est justement aujourd’hui qu’elle est l’instrument par lequel Dieu nous sauve.

Son message-clef est aussi qu’il y a la sainte Eglise, indestructible (car épouse vivante du Christ vivant) et qui compte de vrais témoins de la foi… comme nous sommes tous aussi appelés à le devenir, même si le chemin nous semble long :

Il est très important d’opposer aux mensonges et aux semi-vérités du diable l’entière vérité. Oui, il y a des péchés dans l’Église, et du mal. Mais même aujourd’hui, il y a la sainte Église, qui est indestructible. Aujourd’hui il y a de nombreuses personnes qui croient humblement, qui souffrent et qui aiment, à travers lesquelles se manifeste le vrai Dieu, le Dieu d’amour. Aujourd’hui aussi Dieu a ses témoins (« martyrs ») dans le monde. Il nous faut juste être attentifs pour les voir et les entendre. (…) Si nous regardons et écoutons autour de nous avec un cœur attentif, nous trouverons des témoins partout aujourd’hui, particulièrement parmi les gens ordinaires, mais aussi dans les hauts rangs de l’Église, prêts à prendre position pour Dieu par leur vie et leurs souffrances. C’est une inertie du cœur qui fait qu’on ne les reconnaît pas pour ce qu’ils sont.

Le pape émérite nous donne alors une nouvelle suggestion pour évangéliser, qui se rapproche de ce qu’il disait déjà, en 2000, alors cardinal, parlant d’évangéliser comme « apprendre l’art de vivre » (3)  :

L’une de nos principales missions, dans notre œuvre d’évangélisation, consiste, dans la mesure du possible, à créer des habitats de la foi. (…) Voir et trouver l’Église vivante est une magnifique mission, qui nous fortifie et renouvelle notre joie de la foi.

A nous, donc, de trouver ces différents modes d’habitats de la foi ! N’est-ce pas un magnifique challenge proposé ici, en communion avec le pape François qui nous invite lui aussi à habiter le monde, jusqu’aux périphéries de l’existence, pour y apporter l’Evangile ?

Alors oui, comme conclut Benoît XVI, « la lumière de Dieu n’a pas disparu » ! A nous de la transmettre ! La mission de l’Eglise n’a pas changé, ce n’est pas en changer dont nous avons besoin. Ce n’est pas tant non plus la conversion de la structure qu’il faut espérer, mais la conversion personnelle de chacun de nous, pour que justement rayonne sur nous, à travers nous, cette lumière du Christ, afin que nous ayons tous des gueules de ressuscités !

C’est d’ailleurs modestement, ce que nous essayons de faire nous aussi depuis 3 ans, avec notre association Lights in the Dark, qui prend son nom dans la prophétie d’Isaïe : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9,1). Les premiers fruits sont là de personnes qui reviennent à l’Eglise… alors en avant !

Bonne semaine sainte et belle montée vers Pâques à chacun et chacune !

JBM

(1) « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins. » Paul VI, Allocution aux membres du Conseil des Laïcs, 2 octobre 1974.

(2) « S’il n’y a pas de place pour le Christ, il n’y a pas de place pour l’homme. » Jean-Paul II, Message chrétien et culture informatique actuelle, message pour la 24e Journée mondiale des communications sociales, 27 mai 1990.

(2) « Evangéliser signifie apprendre l’art de vivre, montrer le chemin du bonheur, pour devenir homme » Conférence du cardinal Ratzinger sur la nouvelle évangélisation, Jubilé des catéchistes, 2000.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *